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Burkina Faso, juillet 2009

La pluie, que tous attendaient, arrive! enfin! Avec son cortège de vent violent qui déracine les arbres, arrache les tôles des toitures, détériore de fragiles maisonnettes en banco, comme à EDEN celle qui doit abriter nos moniteurs artisans. Avec les rues de Nouna transformées en bourbiers où pataugent les cochons, poules et canards, mais aussi les enfants qui y trouvent un terrain de jeux… bien dangereux ; pour rien au monde je n’y tremperais l’orteil! pourtant, quand la moto cherche sa voie sur les bords, on risque à tout moment la glissade.

Nouna la commerçante, la porte du Mali, n’est plus qu’un souvenir, et son éloignement de la capitale ne lui laisse pas espérer grand’chose. Espérons seulement que les bonnes intentions du nouveau premier ministre, qui se singularise dans la lutte contre la corruption et les avantages indus des fonctionnaires, permettront de voir se réaliser les promesses d’infrastructures qui jusque là se sont « évaporées ». Le laissera t on faire jusqu’au bout? en contrepartie de cette lutte il a augmenté les salaires des fonctionnaires, un bon point, car tout augmente. Avec la hausse du carburant, toutes les denrées augmentent toute la population est touchée, même les ruraux qui s’étonnent des prix au moment des fêtes où ils se payent le « luxe » d’un peu d’huile, de riz.

Le premier échangeur routier, celui qui mène à Ouaga 2000, est terminé, moderne, magnifique ; mais quel danger pour les nombreux cyclistes et les piétons qui l’empruntent ou doivent le traverser! De l’autre côté de l’échangeur, c’est bien propre, on a débarrassé tout le « bidonville » qui déparait : rentre au village, va gagner ta vie ailleurs… si tu peux. Les promoteurs vont s’en donner à cœur joie : tout ce terrain à bâtir! Mais d’où vient tant d’argent, et surtout à qui profite-t-il? Sur place, une grande affiche proclame : « Etre burkinabè se mérite »… être Ouagalais aussi, il faut croire. Mais je fais du mauvais esprit, le message (cf le premier ministre) en appelle, en gros, à l’honnêteté… L’argent facile qui fait tomber dans tous les pièges, toutes les tentations, est dans toutes les têtes, toutes les relations, tous les échanges.

Je dois vous conter une anecdote : un gentil membre de TDE a mordu (sans conséquences heureusement) à « l’arnaque africaine » sur internet : on vous promet une partie d’un gros héritage, pour vous, ou pour construire un orphelinat, une école, une église. On vous donne les coordonnées d’un avocat africain (là c’était un burkinabè, ça tombait bien!) et pour finir on vous demande la « modique » somme de 1500€ pour débloquer le pactole! L’avocat de mon histoire n’a jamais existé, ainsi que me l’a confirmé Me Sangaré, avocate d’Accueil, et nous avons bien ri en évoquant la malignité des escrocs se basant sur la cupidité, et la naïveté des pigeons, qui peuvent être touchés même dans leur altruisme. Elle ferait fortune en les défendant, si seulement il leur restait de quoi régler ses honoraires! Pourquoi « arnaque africaine »? parce qu’ils ont été les premiers touchés, pardi! N’est ce pas un peu la même arnaque qui les fait venir en masse sous nos cieux, au péril de leur vie tout en s’endettant pour longtemps?

Nous avons parcouru pas moins de 2200km, et tout le long des routes, il faut voir les familles en train de cultiver, qui derrière ses bœufs, son âne, qui à la main, à la daba. Georges m’explique alors que les paysans souffrent en ce moment, malgré des récoltes convenables la saison passée : ils sont encouragés à produire davantage de cultures de rente (arachide, sésame), au détriment des vivrières (maïs, mil), ils gagnent de l’argent, en se disant qu’ils achèteront leur nourriture.
Seulement, ils achètent d’abord des téléphones portables, des motos chinoises (presque jetables), ils s’endettent : ça pose un homme de se payer tout ce qu’on voit s’étaler sur les affiches, avec des sourires exagérés promettant le bonheur. La télévision, la radio, au lieu de relayer des informations utiles aux paysans (sur les nouvelles variétés hâtives, les techniques accessibles, les expériences de mise en commun du matériel…) sont saturées de publicité. La société de consommation… Certains pensent que le développement passe par l’augmentation des échanges commerciaux. Mais pour les paysans les prix des aliments augmentent et il n’y a rien dans les greniers… alors ils revendent à perte leurs biens qui ne les nourrissent pas, et ont du mal à faire la « soudure » ou pire, ont hypothéqué une partie de leur future récolte… pourvu que les pluies soient bonnes.

Par ailleurs, on parle au plan international de l’achat de grandes surfaces de terres cultivables dans des pays qui sont déjà en insuffisance alimentaire. On s’en scandalise… pourtant depuis longtemps déjà, beaucoup de surfaces agricoles sont aliénées aux productions de café coton cacao, à notre profit et mal payées. Mais cette nouvelle pratique semble un pas de plus vers l’appauvrissement des pays perdant de grandes surfaces agricoles. Que penser alors, au Burkina Faso, de la prise de possession par des membres du gouvernement, de grandes superficies défrichées et vouées à l’agriculture intensive? Et cette nouvelle loi, qui permet désormais d’avoir un acte de propriété sur de la terre qui était traditionnellement distribuée par les chefs de terre, n’est elle pas suspecte? On y a donné la justification (ou prétexte) d’avoir une garantie pour emprunter à la banque. Mais des pays étrangers lorgnent sur ces superficies? Alors verra t on bientôt se reproduire ici ce qu’on vient de voir à Madagascar? Si de l’argent circule, si des biens sont produits, en tout cas ils ne profitent pas au petit peuple et encore moins aux enfants. C’est quand même un pays où on laissé mourir un bébé né à Nouna sans anus, alors qu’on pouvait l’opérer : son père n’avait que 30 000FCA (45€), et on a eu du mal à nous joindre après ma promesse d’aider dès que j’ai connu le cas …alors la non- assistance à personne en danger n’a aucun sens.

Les orphelinats

Quand on voit l’effet produit sur l’enfant qui a son « heure de gloire » – simplement lui apporter quelque chose de la part de ses futur parents adoptifs, lui montrer son album, s’intéresser à lui et du coup intéresser le personnel – c’est phénoménal. Il n’a plus peur, il ose vous regarder, toucher votre collier, sourire, il est « devenu quelqu’un ». Des jours après, son sourire en dit long même s’il est petit ; et pendant que vous êtes là, votre regard posé sur chacun des enfants les fait réagir. Trop d’enfants restent enfermés sans projet de vie dans des lieux d’accueil, de fait anonymes subissant sans comprendre sous prétexte de les garder dans leur milieu d’origine, ou parce que l’inertie des services sociaux rend très compliqué pour les directeurs d’orphelinats (avec toutes les démarches à leur charge) de les rendre à leurs lointaines familles, ou de les proposer à l’adoption.

Ils ont massivement un retard de parole, à 4 ans ils ne parlent pas leur propre langue… quelles racines ont-ils? Dans quelle famille s’enracinent–ils, prennent –ils leur place dans la parentèle? qui les secourra, cotisera pour eux en l’absence de sécurité sociale, d’assurance quelconque?


On va me demander :
« alors, au Foyer de Nouna, ça avance? tu es contente? »
On a eu 2 bacheliers sur 7 candidats, 4 sur 10 ont eu leur BEPC. Des résultats médiocres mais ce n’est pas si mal au vu des résultats nationaux. Un fonctionnaire de l’éducation s’est présenté au Foyer et va dès la rentrée renforcer l’encadrement et le soutien scolaire. Moussa et Karim qui ont eu leur bac ont été félicités, et j’ai pour eux des parrainages pour poursuivre leurs études.

Les autres vont tenter les concours de la fonction publique et retenter le bac. Denis et Panbani, sont sortis de l’école d’instituteurs. Ca marche…
Le technicien agricole attend (impatiemment) le forage (pour lequel nous avons fait des dossiers de subvention) pour mettre en place l’activité maraichage : grâce à lui on double la surface voisine du Foyer ; il a déjà organisé la culture du champ à laquelle les étudiants vont travailler pour participer à leurs frais.

Les petits « guides » des mendiants:
Ce n’est pas facile de leur faire franchir la porte de la normalité: à Nouna ils fréquentent la « cour de la solidarité » (créée par Thomas Sankara pour mettre fin à la mendicité en travaillant à la réinsertion) attendant avec leur « vieux » ou leur infirme, des aumônes (il paraît que la superstition veut qu’on fasse l’aumône pour détourner le mauvais œil sur le pauvre…) ou se reposant de l’errance dans les rues. Ils sont sans éducation, dans une impasse. La liste de ces enfants a été établie, les activités trouvées, les plus jeunes sont ou seront parrainés pour fréquenter l’école. Les deux premiers moniteurs ont fini leur formation en cuir, un troisième se forme en tressage de sièges.

On a prévu de nourrir les enfants mais aussi les adultes qui mendient, pour qu’ils nous les confient, on va tenter dans l’esprit de Sankara de la occuper avec le tressage de sièges. Je croyais qu’il serait difficile d’encadrer des enfants abîmés, de les sortir des relations humaines faussées par la mendicité. Non : dans l’immédiat il faut se heurter à une directrice de l’Action Sociale, pourtant associée, qui trouve maintenant qu’il vaut mieux les maintenir là et propose une autre liste d’enfants…. Il faudra que Georges (soutenu par le travailleur social qui lui a été délégué) se batte et aille plus haut pour imposer notre projet qui affirme qu’ils ont droit à un avenir.


Visiter des familles, des quartiers, remonter dans l’histoire d’une vie d’enfant, c’est rencontrer Cosette : abandons, mauvais traitements, que ce soit sur les mères ou sur les enfants, viols répétés de la mère, chute dans la prostitution ou dans la folie, et aussi tentatives d’infanticide … Il faut regarder pour témoigner, écouter pour comprendre, donner quand on en a … Face à eux, je remercie chaque parrain, chaque couple adoptif qui veut bien nous aider à ne pas nous enliser : chaque enfant qui peut être tiré des griffes de la misère et de la violence et sauvé, chaque soutien, c’est un espoir, un sourire revenu, et c’est un poids de moins pour nous. Encore faut-il être vigilant, ne pas directement verser l’argent du parrainage : car celui qui l’a abandonné hier, voudra reprendre l’enfant avec sa manne… argent facile. Pour Colette et Georges, quel travail de distribuer ce qu’il faut à bon escient.

Je reviens avec l’image de de Saydou, 4 ans, qui a besoin d’une opération de la colonne vertébrale, Bathimé, petit orphelin aveugle de 10 ans qui a besoin d’être parrainé, en me demandant : qui va les aider? peuvent-ils compter sur nous?

Que chaque enfant pris en charge soit pour vous une joie, celle de la promesse de vie qui va s’épanouir et non pas se décomposer et se perdre à jamais… depuis, des inondations ont eu lieu à Ouagadougou!!!

Voir également Inondations catastrophiques à Ouagadougou